Banou Léléfan – Jour 13 #Cabanou2020

Malik Duranty est un ami du blog, un grand frère de la vie et est également blogueur sur Éditions Karibeen Lésans Syèl Dlo Tè Difé. J’apprécie sa façon de manier les mots, les valeurs qu’il défend par l’écriture et en actuel. Il est aussi auteur, je vous conseille d’ailleurs la lecture de son dernier ouvrage (et aussi des autres, mais surtout de celui là) #Raggamuffin, une poétique du cheminement – passage mémoriel… Comme les autres invités, il vient témoigner de 2020, je vous invite à découvrir comment, en l’en remerciant et en vous souhaitant une belle lecture !

Alychouette

Banou Léléfan est le fruit de la rencontre de plusieurs mythes, tâchant de réveiller l’état de conscience collective par une vision poétique d’un souhait. Celui de faire de l’éléphant l’animal totem et sa symbolique, inspirant à notre prochaine métamorphose, une quête, celle de l’éléphant. Ainsi, espérons que ce voyage initiatique au pays onirique ouvrira à votre quête de compréhension. Bonne lecture… bon voyage…

Malik Duranty

Il fait nuit et la pluie tombe en grosses cordes du ciel, d’un gros cumulus sombre, similaire à un château d’eau gorgé à raz-bord. Une nuit sombre et humide. Des trombes d’eau fraîche coulant du ciel. Pourtant, le rythme d’une démarche solennelle, nous fait avancer d’un pas majestueux sous le toit nuageux. Cette eau ruisselle au sol, de petits ruisseaux qui zanzòl la descente, remontée par ce pas à pas calme, apaisé.

Arrivé à une clairière en mode savane miniature, se fait si tendre à l’oreille, le chant du frottement d’herbes grasses et hautes et le tjitji des pas sur le sol imbibé d’eau fraîche du ciel. Eau restant à la surface, rêvant de ne pas pénétrer la terre, avant de s’évaporer pour reprendre le voyage de nuage.

Au milieu de cette savane miniature, il y a un grand cercle d’herbes couchées comme un tapis au sol, à la circonférence où agit un microclimat où il ne pleut pas, où nuage est percé comme l’oeil d’un cyclone, à la même circonférence, laissant passer la lumière de la Lune, au zénith de sa pleine apparition au monde des vents et des marées.

On y entre comme par magie, car l’invitation est le fruit d’un message passé par la voix de l’intuition, mentionnant le fait d’un aller-vers, là à l’uni-vers où se révèle la présence des konpè du bestiaire du conte créole. Ces caractères-souches des intrigantes personnalités de chez nous, cherchant vivans dans le marasme de la colonie. Heureusement, la colonie n’a pas atteint le pays- rêvé de notre imaginaire, construit dans la liberté de notre imagination du mélange de tout le vivant pour bonbans.

Au milieu de ce havre climatique au milieu du déluge, est un feu brulant entre autres essences habituelles du zayann, des bwa de gommier et d’encens, donnant un sens rituel à l’instant. Les flammes ardemment douces, de ce feu du mitan miroitent à la surface de la lune.

Il est de cela comme un néon lumineux dans lequel apparaissent les présents.

Compère Lapin, le maître de la ruse et de débrouillardise, est là. Il tient conversation, avec un propos d’une voix lente et affectée d’une résonance nasillarde, dans un complet blanc. Tout à côté de lui est Rat, le jaloux et l’inconséquent, qui essaye d’entrainer Compère Lapin dans des railleries à propos d’Agouti, le pauvre de chez pauvre, qui porte une sorte de tunique jaune en haillon. Ce sdf qui sans Crabe n’aurait pu venir. Mais l’intuition de Crabe s’associe souvent à sa générosité et son altruisme. Lui qui se sent responsable des souffrances du monde, à se faire surnommer « Sé Ma Fòt ». En tout cas, ce n’est pas Macaque qui s’en plaindra. Raillerie, drôlerie c’est pour lui. Mais gare à celui qui voudrait l’en empêcher, il pourrait se retrouver victime de sa férocité. Enfin, Macaque fait attention tout de même, car Chien et Chat sont là. Chien a mis son uniforme de général pour l’occasion et toutes ses décorations. Lui le chantre de l’obéissance et du sens du devoir, est fier de ce que cela lui rapporte aux yeux de son maître, lui le sousè. Chat lui fut esclave comme Chien. Sauf qu’il ne l’oublie pas. Il a vraiment soif de liberté et faim d’indépendance.

Ay Bondjé ! Boeuf et Cheval sont là. Ces forces de la nature d’un point de vu physique. Car, en matière d’intelligence, ça laisse à désirer. Ce sont les sous-fifres du riche « béké », qui se prennent pour des grokoko avec les femmes et les plus faibles, et aussi, qui sont obséquieux avec les soi-disant puissants. Bien entendu, ils se sont installés à côté de Poisson-armé qui s’était mis un peu à distance, pour viser chacun de son oeil méfiant. Car, ce n’est pas simple d’être le bourreau de l’oligarchie dominante. C’est lui l’acteur de la répression, il le sait, ça le rend fort et vulnérable à la fois.

Mulet l’esclave qui était parti en mawonaj, se retrouve là avec Souris, à lui parler de ses « rafales d’enfants ». Les deux amis s’esclaffent de rire, par l’humeur et la finesse de Souris qui rebondit à chaque anecdote de présentation des enfants. Tigre les fit sursauter en passant au milieu d’eux ,en les bousculant par maladresse pour aller rejoindre Lapin.

Qu’est-ce que tu crois l’invitation intuitive concerne tout le monde en cette nuit de déluge mystique.

Coq vient d’arriver avec sa grande banalité, ce fanfaron vérifiant sans cesse sa mise vestimentaire et le maintien de ses chivé bien malman domestiqués en coupe chivé asimilé. L’imbu de sa personne qu’il est, se mit à osciller du regard en ce lieu. En quête d’une donzelle à dominer pour l’occasion. Le talonne Aigle, fièrement roi du ciel, venu en sa prétention avec une intention paternaliste. Il dut se faire un peu petit malgré toute sa superbe. Car sans faire exprès, le regard au ciel, il buta sur Tortue. Ayayaye, celui-là, un peu schizo sur les bords, peut être un envieux perfide ou encore un quimboiseur patenté. Nul ne sait. Et tous nous savons qu’homme surpris battu.

La situation devenait de plus en plus tendue. Car, chacun regardait chacun se demandant : poutji tout moun-lan ka anni rivé la konsa ?

À ce moment-là, un tanbou djouba apparu non loin du feu. Au moment même où Crapaud entre dans le cercle avec Colibri. Ces fervents contestataires, assoiffés de la moindre des libertés. Ils se mirent tous deux à jouer au tanbou. Chantant une chanson de louange à la liberté et à la culture de la résistance. Cela mit tout de suite une ambiance cérémonielle. C’est ce moment-là, que choisit Lion pour entrer dans le cercle. Lui est venu avec sa lointaine et puissante autorité, venue de la terre des origines, et proclame que Larèl-la ouvè. Alors que Crapaud et Colibri déchainent un ladja débridé.

Lion annonce le jour de la révélation, tous en présence doivent s’unir pour que se rejoignent en cet instant le monde du bestiaire du conte et celui de la triade humaine. Oui en effet, à l’autre dimension du monde, se réunissent les membres de la triade humaine dans un Pitt Kiltirèl, duquel les présents sont projetés dans le cercle cérémoniel au milieu du déluge.

Entrent dans le Lakou ceux qui sont appelés par Lion :

« Bêtes et bestioles de la colonisation entendez par bienveillance
présenter la meilleure version de vous-mêmes à la présence de la femme

en mère, manman de rafal timanmay
en marâtre méchante ou soumise en mézamouw timanmay
en sorcière quittant l’état de soukougnan passant par l’état
de chouval twa pat, cochon, zombi, pour s’assoir vrai parmi nous en la djablès
en la jeune écervelé, l’inconséquente frivole et vaniteuse
tjip !
en la nymphomane
en l’épouse indigne
en la fée absente

à la présence de homme
en le père pour une fois présent à notre conscience en le père indigne
en le père inconséquent
en le père intolérant
en le père indifférent

à la présence de l’enfant
en le héros de l’ascension sociale en l’espace escamoté

que viennent avec eux tous les apprentis-sages à ces mots, ils apparurent tous
ils étaient là parmi tous… »

Lion demande à tout un chacun, de bien se tenir et de prendre place sans dispute, pour faire un cercle autour du feu.

« Que rentre dans le lakou le Bondjé celui du ciel et de la terre et celui du colon.
Que rentrent les djab, les grands chefs de fratrie démoniaque et les petits démons sous-fiefs fifres.
Que rentrent les zombis malfaiteurs de rites du carnaval… »

Une fois tous les invités cités là, Lion appela Baleine. Dans une bulle d’eau phréatique, Baleine est au centre de l’attention. Tous espèrent qu’il a les réponses à leur question.
Les flammes du grand feu au cœur du cercle du milieu du déluge, se mirent à redoubler d’une chaleur affective de foyer, lorsque des éclairs se mirent à parcourir le monde du déluge qui entourait le cercle de la paix. Quand Baleine se mit à parler, d’une voix impressionnante, puisque modulée par l’eau de la bulle :

« Mes tous du yann ?, entendez bien la raison affective de votre présence et votre écoute, car l’heure est là de nous consacrer à nous, pour sauver ce qui nous fait NOU par lésans syèl dlo tè difé. Vient en son commencement l’enchainement des rites de notre passage spirituel, de l’ensemencement de nos vies. Apré latousen, limyè diwali a éclairé la vie à la vérité d’amour de nos ancêtres et des anciens. Eux tous ont fait le grand passage du bout du jaden lavi, ka vini Banou jou nwèl ka sélébré tjè la trinité fondal la fanmi ayannay nou. Pou dan solstice, sélébwé le woupati du cycle de lavi, au fil des ans, va à sept qui par trois fera un cycle d’homme, qui par deux se fera lui-même passeur de sagesse jusqu’à trois, pour être la sagesse elle-même, un pachyderme dans le lakou au vaste monde. »

« Tèl an sé jou fèt ka vini, ni mannèv posib pou nou rivé an tjè vidé-a pou viv mofwaz sa nou mandé yé, tandé pawòl lanmou kon fòs mistik ka lyanné nou mistik. » De ces mots, il resta silencieux, parlant en corps en tournant sa majesté sur lui-même, le Guide, Gardien de l’ancestral royauté de la savane et des grandes jungles de la terre-originelle.

Apparus dans l’espace du coeur au mitan des présents, les mas amérindiens, africains, indiens, asiatiques, arabes, caucasiens, dans un tableau d’ombres et de lumières au canevas d’une mangrove primordiale et irrémédiable.

À ce moment où, nul ne peut ignorer que tout est rythme, kadans tanbou s’est emparé de l’instant et, un pas potalan marque l’ampleur des coups de basse qui prennent à l’instant tous les coeurs présents, visibles et invisibles dans l’harmonie du présent des présences.

Le Lion reprend la Pawòl pour dire : « Ah Manman Latè
Ah Manman Dlo
mi dévenn mi tralala anlè latè

nous voilà au sixième continent
cet archipel mangrove
d’où tu vois
ce que le colonialisme fait de la vie
taisez en vous la culture du dominant dominé celle de l’égo

et venez à l’humilité de votre humanité
en souvenir de votre innocence de nativité
qu’à votre première inspiration
l’élément air a gonflé vos poumons
qu’à votre premier clignement d’yeux
un bain de lumière inonde votre kokozié
une révélation morphologique et chromatique
jusqu’à votre compréhension de l’invention de vous-même parmi tous
au feu du sentiment d’humanité dans le coeur
vous accrochez au téton de l’amour premier
au pays de la chair du vivant
modelé d’une danse de manman latè et manman dlo »

Le silence… et une ferveur muette prit l’ensemble de l’assistance, au milieu de ce havre climatique mystique, lé mòsobwa ki té ka brilé an tjè difé-a, se mirent à trembler au pas du pas majestueux. À l’ouest dans le monde du déluge, vint une masse qui avance au rythme du pas majestueux.

Cette masse s’éleva dans une légèreté stupéfiante jusqu’à la lune, avant de redescendre dans ce tube lumineux jusqu’au sol du milieu du havre climatique. Debout là au mitan, la Lune devint rouge. « Douter, c’est se permettre ailleurs d’avoir des certitudes. J’ai choisi d’avoir des présences au présent. » Explique le vent qui s’introduisit dans le havre climatique mystique du lieu de l’instant.

La masse noire prit forme sous les yeux de tous, comme si tous naissaient à sa présence manifestée et révélée morphologiquement et chromatiquement, olfactive et kinesthésique présence. L’être prodigieux, le Totem de la vie révélée au mitan là comme ça, dans une éloquence qui étouffe les voix de discordes, inonde les voies d’égarement, créé l’unité dans la grandeur du divin.

Ses pieds posés sur coussin à l’écoute du tout et de chacun. Sa trompe en geste de perception olfactive et kinesthésique de tous, ressent la mutation métabolique de chacun qui en lâcher prise de son identité habituelle et irréelle, pour qui quoi quête la sagesse. Le voilà de sa présence changeant la topographie de la conscience de tout et de chaque, le voilà de sa présence ouvrant les zones sombres à la lumière de la confiance, son coeur entend le coeur du tout et de chaque et la pompe vascularisée palpite l’apaisement en chacun et le chant ruisselant de l’eau des souterrains depuis la surface. Il est la vibration des 16 pachydermes qui soutiennent le monde. Lui est là… Celui qui ouvre la voie, qui détruit les obstacles… Il est le voeu pour notre métamorphose. L’inspiration…

« Mwen pa té la mwen rivé Banou kriyé mwen Banou Anmwé
Je suis en Un
Manifesté pour vous Pour Nous voir en Un. »

Des éclairs éclatèrent dans le monde du déluge
le tonnerre retentit d’une puissance à faire frémir
d’un tremblement en frisson de terre
Banou lança sa trompe en un geste gracieux au ciel un barrissement retentit du milieu du havre climatique aux quatre coins cardinaux du tout et le déluge lui-même se mit à l’écoute.

Banou se mit à parler avec calme par la force d’une paix intérieure

« Toi
le pays onirique
écoute notre silencieux voyage
à travers les paysages de notre geste de fertilisation de la terre nourricière en matière du sol
et aux vibrations du lieu entre nous
en réjouissance de notre relation
une ferveur et une intime conviction en nous
nous bien d’être
l’eau elle-même
la terre elle-même
l’air lui-même
prêt à voyager en nuage
ou en flamme
mon sol et son ciel
vaste pays aux voyageurs
sur flot léger
l’être du profond `qui ouvre et voit sens de la grandeur
de la plénitude
de l’éléphant BaNou
que nous sommes

Tel que nous sommes la vie de l’être pour notre longévité
pour nos sentiments
pour la sensibilité de notre émotivité pour la sensualité de notre présence pour la fertilité de notre créativité pour l’unité. »

Banou le temps de sa pawòl devint blanc, et s’évapora pour entrer dans l’inspiration de métamorphose de tous les présents. Tout est rythme du tout qui respire.

Tout s’arrête en une fraction de seconde. Il ne restait plus qu’un rond d’herbes couchées au milieu. Le jeune enfant couché dans l’herbe au milieu du grand cercle éphémère. Un molokoï est là, c’est lui qui a, en marchant en spiral jusqu’à l’enfant, ouvert le cercle. Quand avant de partir pour la marre d’eau dit ceci :

« En moi j’ai la force
je ne crains pas son côté obscur je sais
je sens sa lumière
et je traverse vivant avec amour une vibration suis-je
j’ai confiance
je suis une énergie positive

Sur le parchemin de la nature
je lis ce qui rectifie ma drive
j’arrive en pas décisif à la rive
où je rive mon regard sans fêlure
sur la morphologie et la présence chromatique de cette beauté qui m’éloigne de la panique

la bonté de l’eau comme catalyseur cinématique

Je suis une phrase
je suis celle qui dit
l’amour même quand tu n’es pas en mesure de le recevoir distribue-le… »

En nous voilà, trois cycles de sept ans plus tard, quand ce même enfant écrit ces mots sur son cahier, dans sa langue primordiale de renaissance de l’humanité en terre de tropique, par un poème :

« An Ma Dlo Lwil

Poutji ou ka bay an jès grosomodo ? Poukwa ou ka blip konsa ?
Ou pa konnèt an ma dlo lwil ?

Imajiné an ma dlo lwil
Kon lavi ka kitéy viv
Gadé ki manniè kanna ka rantré andidany Gadé manniè tòti ka viv andidany
Gadé manniè krapolad ka swingué andidany

Kidonk ou wè
Siw grosomodo
Ou blip kon an roch adan an ma Saw sav siw pa sav
Ki tsunami radmaré ou kay lévé
Ki lanm vag wou menm ou kay lévé

Poutji ou ka bay an jès grosomodo ? Poukwa ou ka blip konsa ?
Ou pa konnèt an ma dlo lwil ?

Imajiné an ma dlo lwil
An ma dlo lwil apré lapli
Sé lapé manifèsté an tjè savann lisid An tjè granfon tjè péyi papiyon
Sé lapé ou pé wè an mitan
Sé lapé ou pé kouté andidan

Kidonk ouvè
Tjèw an awmoni
Épi ma dlo lwil apré lapli Siw sé Solèy
Jès ou kay fè
Sé jès lavi nati
Ou ké wè didan lapo dlo An ma dlo lwil apré lapli

Sé wou lapé ka viv didan kon déwò Siw pa grosomodo
Siw pa blip
Ou konnèt an Ma Dlo Lwil »

Un commentaire

  1. Bel hommage au conte antillais ! Assistons-nous à un renouvellement du genre ? Trop tôt pour le dire….. le conte, porte vers l’Imaginaire…. cheminement du nous vers le Nous, du tout vers l’un… ce travail rend la part belle aux émotions, dans une hiérarchie salvatrice… la Joie y règne, imperturbable…. on en sort la tête remplie d’étoiles à penser… le coeur joie… Merci Malik….

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