Lapriyè mel

Post invité #2 par Flo, slameuse (une vraie championne dans cet art 😉 ) dont j’aime écouter, vivre la douceur de la plume-poésie. Aujourd’hui elle nous fait l’honneur de partager ses découvertes à l’écrit, et c’est aussi magique ❤️ !Merci à Flo et bonne lecture à vous…

Alychouette

« J’ai une proposition à te faire ! »

C’est sur ces mots enthousiastes que je suis sollicitée pour partager mes découvertes du mois de juin…
Bien au delà d’une proposition, c’est pour moi une invitation à prendre part, un “prends ma main et suis-moi”, car oui, c’est bien moi qui suis, au fil du sensible, du regard curieux, de cette balade inspirante qu’est ce blog et je me laisse guider pour à mon tour partager. Mais écrire pour partager ma découverte c’est d’abord découvrir moi-même ce que je peux bien vous donner à découvrir, revenir à un ou plusieurs instants, retourner là où mes yeux ont ôté ce qui couvrait, ont dé-voilé ce qui protégeait : ont découvert…

C’est à croire qu’Alychouette avait saisi l’instant, lui qui n’a précédé que de quelques jours son invitation…

Anba bwa 

Ma découverte est un « bel pasaj » en sous bois : balade, invitation-initiation à un cérémonial quotidien auquel on ne prête pas attention… (re)découverte !

Teintes soleil couchant sous manteau de nuages-pluie, elle s’arrête en un lieu semblable à un théâtre à ciel ouvert, public sur herbe fraîche, elle a des odeurs de terre tout juste arrosée, d’encens jasmin fumant, de cannelier suintant, de pommes d’eau mêlées aux mangots moussaches, tous tombés sous les assauts de becs méthodiques mais non moins acharnés. Griyav-frèz poko touvé fréchè pou pé sa mi, pandan lasézon zikak ka pran sonmèy. Sensation de chaud froid, dans une discrète brume, elle a un goût de “thé des songes” ma balade-atoumo. Anticipation du moment…

Bruissements de feuilles, craquements de bambous, l’heure est à l’attente, à mesure de l’obscur. Yeux rivés vers le ciel et son balai de merles, en chassé-croisé silencieux, presque indécis : se poser là, où là, puis là-bas, mais jamais où on les attend. Se poseront-ils seulement dans ce dense feuillage, en fond de scène, censé accueillir leur dernier chant ?
Tout vient à point à qui sait attendre, paraît-il…
Tout vient à point à qui sait entendre, ainsi soit-il !

Lapriyè mel…

Il faut attendre 18h30 pour voir et entendre s’agiter en cadence les merles qui s’apprêtent à s’offrir en spectacle dans une coordination musicale, agile, fluide, rituelle.
Chacun vient prendre place, prendre la place, remplacer, s’intercaler, s’interposer, puis se poser : place à Lapriyè mel !

Chorale qui fait oublier le temps, dans cet instant où s’installe le soir au son du dernier chant des merles. Musique frénésie, son-réaction, vérités du jour criées à la nuit, pénombre sans l’ombre d’un doute dans ces voix. La parole est ouverte, libérée, distillée à qui veut, et sans doute bien plus à qui sait l’entendre. Pawol Ladja, bay lavwa, lavwa dèyè, lavwa ! Dans cet épais rideau végétal, on ne saurait distinguer leur présence : ce soir elle n’est que résonance, vibration, majesté. Tantôt hurlante, tantôt bâbillarde, sitôt tapageuse, sitôt ricanante. Pétèt sé nou yo ka ri, nou ki pa jen kouté pou tann ! Accompagnement mélodieux des “gounouy”, de deux ou trois kabrit bwa, de grillons, d’un filet de rivière qui chuchote au loin : déclinaison de musiques du monde. Et il durera plus d’une demie-heure ce moment où nos silences ne se font pas prier. Derniers échos des couche-tard, dernières arrivées de ceux qui avaient traîné en chemin, sursauts, répliques et puis plus rien !

Chut !

Chute presque brutale après contemplation, et l’on aimerait prolonger l’expérience : pourquoi pas une danse ? Mais pas n’importe quelle danse, celle de quelques Bèt a fé !

Après le chant, la danse !

Et comme s’il suffisait de demander… Dans cette obscurité devenue opaque, une, puis cinq, puis dix… guirlandes lumineuses, à perte de vue, au delà des espérances, au delà même de cette réflexion dont l’écho fut immédiat. Illuminations d’un morne qui s’endort.

L’oeil se porte sur l’une de ces lumières, elle sera porteuse de notre émerveillement. Sourire, ne s’en apercevoir que dans le regard de ces autres qui sourient, eux aussi. Tenter de suivre la trajectoire de la messagère, ici, puis là, à moins qu’il ne s’agisse d’une autre. S’apercevoir qu’elle nous suit, elle aussi. Se faire chorégraphe pour mener la danse, égo de l’humain qui cherche à maîtriser, même en pareil instant. Et puis s’abandonner.

Fermer les yeux et repérer le scintillement au delà des paupières, suivre dans le noir. Se reconnecter, alors, au son : silence sur ce morne où même le vent chuchote ses dernières syllabes. Si l’arbre bruit, c’est du craquement de ses branches fin prêtes à s’abandonner elles aussi.

Silence-nuit.

Les narines, perçoivent de nouveau, yeux fermés, l’odeur humide de la terre qui nous accueille. La peau s’enrobe d’un voile froid, ce n’est pas le vent, ce n’est pas la pluie. Sans doute l’effleurement d’un frisson-émotion qui bourgeonne au coeur de nous-mêmes. Reconnaissance…

Alors, comme pour remercier, en veillant à ne pas perturber le sommeil des artistes, léger son, notes spontanées de Kalimba, caresse suave d’une toutoune bambou qui berceront toutes deux ce morne, promettant notre retour pour un autre concert…

Serez-vous des nôtres ?

Flo

2 commentaires

  1. C’est aussi un moment de la journée que j’aime beaucoup! Tu as eu une guide formidable 😉

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