Leçons de marronage…

Bonjour !

Voici un petit journal de leçons de marronage que j’ai croisées sur mon chemin. Entre l’oeuvre d’Hervé Télémaque et la pièce Les Irréverencieux de la compagnie les Asphodèles, l’invitation en trypitique est à marroner !

Rencontre avec le grand Herve Telemaque au Campus Caribbéen des Arts à l’Ermitage, Fort-de-France : artiste de la figuration narrative, il est né à Haiti mais s’en est séparée en 1957, il entretient ainsi une relation spéciale avec la Caraïbe non incompatible avec sa renommée internationale.

L’artiste est en Martinique, à l’occasion de son exposition à la Fondation Clément pour l’ouverture de celle-ci avec ses nouvelles salles. Une exposition qui fait suite à deux expositions en France hexagonale notamment au Centre Pompidou qui a d’ailleurs conçue et réalisé cette exposition aux côtés de la Fondation Clément. Une exposition qui soulignait sa reconnaissance à son pays d’accueil qui lui a permis d’exposer son art comme il l’a d’ailleurs exprimé à cette rencontre… Puisque contrairement à Basquiat, il a quitté New York : à l’époque ville provinciale et raciste pour Paris, particulièrement motivé à l’écoute de cette phrase  » Le moment n’est pas encore arrivé pour qu’un noir puisse devenir un artiste  » ainsi, Paris l’a sauvé de New York !

Une exposition tout de même quelque peu différente des deux autres…

HERVÉ TÉLÉMAQUE

Certes, c’est un homme âgé qui nous a accordé de son temps mais c’est aussi et surtout un artiste riche d’un long parcours toujours apte à le narrer. C’était donc jeudi 21 janvier 2016 au campus caribéen que m. TELEMAQUE a rencontré les élèves du campus caribéen des arts, duquel il n’est pas du tout étranger puisqu’il y a enseigné, y est intervenu plusieurs fois et avait d’ailleurs soutenu la création de cette structure autrefois nommée « Ecole Régionale d’Arts Plastique » (ERAP).

Il n’est pas venu pour nous parler de son exposition éponyme qui retrace son parcours artistique, mais pour rencontrer, et échanger avec les étudiants !

L’art en Martinique

Cette rencontre a notamment mis l’accent sur la thématique de l’art en Martinique, en effet, les étudiants n’ont pas manqué l’occasion d’y partager leurs craintes ou tout simplement leur ressenti face à l’art, au marché de l’art, à la place qu’on laisse à l’art ou encore à l’identité de l’art martiniquais et tout cela en Martinique et donc à notre culture… Notre culture dans ce monde libéral où nous sommes en proie à des influances très diverses ! Evidemment n’y a pas non plus manqué d’être évoqué la question de la psychanalyse face à l’œuvre artistique, celle de la généalogie…

Hervé Télémaque a exprimé sa joie de voir autant de potentiels futurs artistes face à lui, a rappelé la chance que c’est d’être formé dans cette école par rapport à Haïti, ou ailleurs dans la Caraïbe, même si ces élèves se posent des questions sur leur futur, sur l’avenir de leur art sur le territoire Martiniquais.

S’ouvrir au monde en n’oubliant pas sa culture

Et justement à ces problématiques, les grands artistes locaux (originaires de la Martinique mais à la notoriété ayant dépassée ses frontières) ont rappelé qu’eux n’ayant pas eu la chance de passer par cette infrastructure ne se sont pas posé autant de question, tout en encourageant les jeunes à ne pas s’enfermer mais à s’ouvrir au monde, n’oubliant pas leur culture… Car s’ils ont cette peur que cette culture martiniquaise soit délaissée pour être remplacée par le vol d’autre culture, les grands savent rassurer : Victor Anicet répond à cela quetous les artistes volent, que c’est comme ça que nait le processus de création, mais ce qui est dangereux et qu’il faut s’interdire : c’est le viol !

Du SERMAC à la professionnalisation : ERAP

Quant à René Louise, ce dernier a évoqué les souvenirs de la création du Campus à l’époque Ecole Régionale d’Art Plastique par Césaire, des difficultés qu’il a rencontré mais de la volonté qu’il a déployé pour que ce projet voit le jour, car pour Césaire c’était la possibilité pour les jeunes des ateliers du SERMAC de poursuivre leur formation artistique jusqu’à la professionnalisation.

Mawonaj !

René Louise n’a pas manqué de développer ​son approche de l’art à lui… ​Le Marronagephilosophie qui contribue modestement à éveiller la conscience spirituelle des jeunes créateurs, afin qu’ils abordent leur formation artistique dans la sérénité et la plénitude, en harmonie avec la nature. Pour plaisanter il dit  » le marronage c’est même de maronner le maronnage « , il appelle ainsi les futurs artistes à maronner.

​Et Bertin Nivor sans laisser s’éteindre le feu au sujet du marronage abordé par son confrère, développe l’idée d’un marronage actif au quotidien, d’un travail de désaliénation de nous-même par nous-même sur nous-même… Un travail qu’il mène depuis 20ans déjà et qui n’est pas près d’être fini, il aborde des exemples tels que….

L’étymologie de certains mots comme « coco » qui en portugais désigne le singe, ou le mot « nègre » noir. Il précise qu’un travail de désaliénation, c’est marroné en se demandant d’où vient le vocabulaire qu’on utilise ? Car c’est le vaincu qui raconte l’histoire ! Et qui a donné le nom noir ? Qui a parlé de nègre ? Qui parle d’esclaves ? Non, ne sommes pas descendants d’esclaves, l’esclavage n’est pas un statut naturel… nous parlons donc de personnes esclavagées, esclavagisées. Il s’agit donc dans ce marronage de chercher notre vocabulaire : j’irai jusqu’à me permettre de l’écrire ainsi : c’est cela notre mawonaj !

D’ailleurs Hervé Télémaque nous quitte avec cette pensée de cette dernière image de Césaire… en colère… Il nous suggère que tout ne serait pas fait, il reste encore des choses à faire… Et c’est à notre tour !

Et c’est sur ce thème du marronage abordé aux côtés de l’œuvre d’Hervé Télémaque, triptyque puisqu’elle occupe les trois salles de la Fondation Clément à l’occasion de sa réouverture que nous allons introduire une autre triptyque, ou du moins, œuvre élément de la triptyque…une pièce de théâtre intitulée  » Les Irreverencieux  » quoi de mieux pour marroner ?!

LES IRREVERENCIEUX

Alors le marronage se fait cette fois en pièce de théâtre, une superbe pièce adaptée du roman 2084 de Boualem Sansal. Cette pièce est un élément d’une triptyque qui sera en principe disponible en 2020 ! Un marronage dans la définition même de l’intitulé « Les irrévérencieux » : communément considérés comme ceux qui « manquent de respect », pour la compagnie c’est pour  » le refus de la négation de soi  » !

Des valeurs justes

Des valeurs justes puisqu’à travers cette pièce on retrouve un hymne à l’amour. Mais également, à la diversité et la tolérance, qui s’opposent à une acculturation comme nous l’aura précisé Yao en nous accordant un peu de son temps : « ne pas se laisser tomber dans l’acculturation : c’est-à-dire une culture dominante et une autre dominée », mais savoir prendre notre culture en entier, avec équilibre, cet hymne constitue ainsi une opposition notamment au caractère addictif de la technologie (surement un indice pour le troisième volet de ce triptyque) tout en abordant le thème des relations entre humaines également virtuelle avec Gaïa qui cherche à nous « ajouter », une opposition également à cette sorte de de système économique totalement capitaliste qu’essaye de mettre en place ce Duc plein d’incohérences… Un duc qui parle tout plein de langages, et symbolise alors la diversité, qui aime la nature, mais qui veut mettre un système économique antihumaniste. Et puis c’est aussi et surtout un hymne à la nature puisque la pièce se déroule dans une forêt magique dans laquelle les Hommes viennent déposer ce qui ne va pas : une forêt où tous les « ras-le-bol qu’expriment les hommes changent la réalité ». Mais n’est-ce pas un peu facile ? Laisser à la forêt notre ras-le-bol qu’elle améliore tout ? J’y vois une façon de nous rappeler justement, qu’il ne sert à rien de rajouter du noir sur du noir pour broyer toujours plus de noir, et il ne tient qu’à nous à un moment de trouver la force de sortir de ce broyage de noir afin de voir le bon côté de la vie. Finalement, une mise en lumière du pouvoir de notre nature qui ne cesse de nous ressourcer… En opposition totale au projet sur l’environnement, aux allures loufoques et qui pourtant nous guette de près dans notre monde contemporain.

Une belle réflexion sur la vie

Ainsi c’est une pièce hilarante qui nous invite à réfléchir sur la vie, à nous remettre en question à travers des scènes comiques qui nous mettent en lumière nos défauts.

Une pièce universelle

Une pièce qu’on peut dire au langage universel. Autant pour toutes les langues qui la composent. Du finnois de Salla Lintonen au créole de Yannick Louis dit « Yao », en passant par l’anglais, l’espagnol, l’italien… Autant parce que cette pièce traite de valeurs universelles. Pour conclure que dans la vie il faut savoir faire la fête… et cela non sans tout le raisonnement au préalable. Puisque l’intrigue est posée dès le début avec la question du personnage de Pantalone qui se demande qu’est-ce qu’une vie sans projet… Mais encore faut-il ne pas se tromper de projet et savoir quelles valeurs défendre. Celles qui triomphent sont belles et bien des valeurs justes : l’amour, la diversité, la tolérance… Savoir choisir la bonne route !

Ceci me rappelle d’ailleur le morceau Endless Road de Goldee

« Tout mon ni an chimen
Ni sa ki ni chimen-chien
Sé mem koté yo ka menen
Ou pé testé. Ou pé chèché ki moun ou yé
Mé pa suiv tout lanmod
Cause so long is the road… »

 

Glissant ?

Justement, en citant le morceau de Goldee issu de l’album Créole Pop de Joël Jaccoulet, rappelons, que l’intitulé s’inspire d’Edouard Glissant « Toutes les cultures du monde sont invitées à cette fête de la créolisation…».On retrouve d’ailleurs une référence au Tout-monde cité dans cette pièce… Mais pas sûre qu’elle soit directement à rapprocher à Edouard Glissant, même si le principe reste universellement le même. Celui de se faire école… Ecole pour « transmettre un théâtre exigeant qui s’établisse en véritable institution morale » pour la troupe. Une école pour Glissant « l’Institut du tout-monde ».

Le message que l’acteur Yao nous transmet c’est de s’approprier notre culture. Non par une approche aliénée mas en toute liberté. Afin de participer à ce grand partage dans cette fête, dans la vie !

Peut-être dommage que cet art populaire ne soit pas plus accaparé par les classes populaires !

Voili voilou une partie de mes aventures du moment !

Vous en pensez quoi vous ?

Vous avez autre chose à me raconter ?

Dites-moi tout en commentaires 🙂

 

 

XOXO,

Alychouette

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *