À deux couverts

Post invité #4 par Simone Lagrand, « créatrice littéraire », « indécise chronique », « artiste »… elle a beaucoup de rôles et personnellement, je dirais qu’elle est une créatrice qui, avec justesse et générosité, me touche ! Elle a accepté de découvrir le kanari de son mois d’octobre et en partage ainsi les saveurs avec nous. Une recette forte et touchante qu’on entendrait presque la paroleuse nous raconté au fil de la lecture. Merci beaucoup à Simone ! Bonne lecture à vous…

Alychouette

Il existe une collection de mots qui m’intriguent. Parmi ces mots que je garde précieusement, il y a “découvrir” et son allié le plus intime: “découverte”.

Ces deux-là m’ont toujours inspiré un peu de méfiance. Mais oui! Si tu vas enlever ce qui couvre quelque chose et que ce que tu trouves te convient, te plaît; que tu le prends, même! Comme si c’était à toi. Sans seulement te demander si cette chose qui était couverte était d’accord pour qu’on lui enlève ce voile, cette opacité qui lui faisaient du bien. Alors quoi?Ces deux-là m’ont toujours inspiré un peu de méfiance. Mais oui! Si tu vas enlever ce qui couvre quelque chose et que ce que tu trouves te convient, te plaît; que tu le prends, même! Comme si c’était à toi. Sans seulement te demander si cette chose qui était couverte était d’accord pour qu’on lui enlève ce voile, cette opacité qui lui faisaient du bien. Alors quoi?

Woy, mi déba! Un débat, parce que je ne savais pas si j’aimais le mot “découvrir”. Alors quand Alychouette m’a demandé d’écrire sur mes découvertes du mois d’octobre, en bonne chirurgienne de vocabulaire, j’ai froncé mes sourcils, j’ai calculé, mesuré, soupesé le mot, je l’ai retourné, contorsionné. Et j’ai décidé de lâcher prise et d’aller voir derrière le dos du mot, comme derrière le dos d’un morne qui cache des histoires.

Je te vois venir: elles sont compliquées ces paroleuses hein!

Est-ce bien une découverte? Tu savais bien toi qui me lis, que pour t’offrir le nannan le plus intense des mots que je collectionne, je ne pouvais pas être juste là à les regarder les bras ballants.

Me voilà donc devant le mot, comme devant un objet nouveau. Je le regarde, je le caresse, je le secoue pour écouter ce qu’il renferme. Je le découvre.

D’abord, il me rappelle qu’en octobre j’étais en Martinique pour Octobre rose. Parce qu’un jour j’ai découvert une boule dans mon sein droit: un crabe mal élevé qui était là à me squatter sans ma permission.  Parce que, manches relevées et cœur vaillant j’ai marronné, fait chemin chien pour tendre un piège à ce cancer et le faire sortir de mon décor. J’ai couvert mon corps d’amour, et je me suis aussi découverte plus forte que je croyais, à tel point que j’ai mis le couvert et sérieusement mangé ce crabe jusqu’à ce qu’il ne reste que son souvenir.

Un moment de ma vie que je suis venue partager en cet Octobre prose comme j’aime l’appeler. Avec le peuple des Amazones de Martinique ralliées autour d’un cri de paix phénoménal : Amazones sé lanmou. En octobre j’ai découvert des femmes solides, fragiles, coquines, heureuses, peureuses, sirèz partageant un seul credo sérieux: guérir et vivre, vivre, vivre dans une vitalité magique.

J’ai découvert des mots qui n’attendaient qu’un coup de pouce pour émerger. Et lors de mes ateliers d’écriture des âmes sensibles et fertiles en paroles lumineuses sont venues découvrir que mettre les mots ensemble c’était à leur portée. Mais oui.

Puis au détour d’un morne dressant Pavillon haut et fier vers le soleil et baigné de halliers et de razyé organisés pour trouver la beauté en toute chose, j’ai découvert des femmes et des hommes qui n’avaient pas peur de dire leurs désirs. Leurs mots se sont offerts à mes oreilles agoulou et je me suis plue à découvrir une envie,cachée sous la feuille, d’écrire un lexique du plaisir créole.

Oh ce mois d’octobre et ses découvertes. Comme une topographie de l’apprendre. On ne peut pas venir ici seulement pour prendre de l’énergie, du love à la sauce lanmou, on y vient aussi pour comprendre et surprendre un ou deux sentiments égarés là et qui sont exactement ce qu’il nous faut.

Quand je viens en Martinique, je vis chez ma mère. Un morceau de femme complète, sans sucre ajouté, sans filtre, une femme qui a connu mille vies et dont le cœur s’exprime beaucoup dans sa cuisine. Alors j’ai découvert chaque matin un kanari nouveau. Pas un oiseau jaune dans une cage non. Juste des saveurs libérées et gourmandes. Une envolée de sensations. Ah ce geste: découvrir! Oui, ôter le couvercle du faitout et fermer les yeux pour deviner ce qu’elle a préparé depuis 5h30 du matin, avant les avis d’obsèques et le début des embouteillages. Seulement , cette fois, je n’ai pas voulu me contenter de découvrir le kanari, je voulais enfin obtenir une recette. Intrépide, j’ai demandé. Je suis repartie avec un tour de main. Faut pas trop demander voyons!

J’ai hésité à vous confier cette astuce si chèrement gagnée et finalement j’ai décidé que si un jour je vous accueille à ma table, vous découvrirez par vous-mêmes ce quelque chose qui peut faire d’une simple morue marinée, une émotion unique.

Ce mois d’octobre-là j’ai aussi découvert quelle était une de mes plus grandes peurs: que le téléphone sonne au beau mitan de la nuit néerlandaise pour me dire que le kanari de maman serait froid désormais.

Alors j’ai découvert que je l’aimais plus que juste une mère. Plus qu’une affaire filiale, plus qu’un lien biologique, je l’aimais comme une vieille amie, une héroïne mi gangster mi fleur bleue. Comme un flamboyant poussant au milieu de mes cheveux.

Et voilà un peu de mon cœur – si amoureux de son opacité- ici dévoilé. À découvert. Mais juste ce qu’il faut. Pas trop. Toi qui lis, emporte avec toi ce petit peu et souffle un léger rideau d’amour pour recouvrir le reste.

Simone LAGRAND

Retrouvez Simone sur le web par là :

Un commentaire

  1. C’est très bien exprimé, Simone. Chaque produit un souvenir de femme et une image de chez nous. Bel pawol.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *